RDC : Quand la corruption entre par la porte, la justice sort par la fenêtre

 

RDC : Quand la corruption entre par la porte, la justice sort par la fenêtre

 

La RDC n’est pas pauvre, elle est tout simplement mal gouvernée. Elle possède des ressources naturelles exceptionnelles, des gisements de minerais, un grand potentiel hydroélectrique, de vastes terres arables, une biodiversité exceptionnelle et la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, pourtant la proportion de la population congolaise vivant dans l’extrême pauvreté était de 64,90% en 2012, contre 71,30% en 2005 (au seuil de 1,25$ par jour). Ainsi pour dire que la plus grande majorité des habitants de la RDC n’ont pas profité de ces richesses. Un pays qui vit dans une situation de crise humanitaire aussi sévère que persistante depuis plusieurs décennies.

En 2018, seuls 33% des congolais utilisent des toilettes améliorées et plus de 90% des ménages n’ont pas accès aux installations d’assainissement améliorées pour déverser de l’eau dans un égout. Plus de 49,0% de ménages, soit environ 1 ménage sur deux, sont affectés par l’insécurité alimentaire dont 16,4% de façon sévère. Plus de la moitié de ménages (51,9%) sont économiquement vulnérables car affectant près de 65% de leurs dépenses mensuelles à l’achat de la nourriture. La pauvreté demeure omniprésente. Les indicateurs de pauvreté restent élevés par rapport aux normes régionales. Près des ¾ de la population vit en dessous du seuil de pauvreté de 1,90 $/jour en Parité du Pouvoir d’Achat (PPA). L’espérance de vie à la naissance était de 60,4 ans en 2018 contre 58,4 en 2013.

La RDC occupe l’avant dernier rang (186ème sur 187 pays) du classement de l’indice de développement humain de 2013 qui est un indicateur synthétique servant à mesurer les progrès réalisés à long terme dans trois dimensions fondamentales de développement humain : une vie longue et en bonne santé, l’accès aux connaissances et un niveau de vie décent. La corruption généralisée et mauvaise gouvernance sont à la base du malheur congolais.

La bonne marche des affaires de toute nation ou l’émergence d’un Etat de droit repose notamment sur l’efficacité de son système judiciaire. L’Etat de droit se construise autour de six piliers suivants ; la légalité, la sécurité juridique, la prévention de l’abus de pouvoir, la redevabilité et l’égalité devant la loi et l’accès à la justice.

La corruption dans le secteur judiciaire.

Le rôle du pouvoir judiciaire est d’appliquer la loi

En 2022, la République démocratique du Congo était classée à la 170e place sur 179 pays les plus corrompus de la planète par le rapport d’Indice de perception de la corruption de Transarency International. Pour le conseiller de l’ancien président Joseph Kabila en matière de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et le blanchiment des capitaux, Emmanuel Luzolo Bambi, la RDC perd au moins 15 milliards de dollars américains par an en raison de la corruption qui mine le pays.  

De nos jours, elle est généralisée, banalisée et jusqu’à être considérée comme un moyen de réussite dans la société congolaise. Plusieurs cas de corruption et scandales de détournements de plusieurs millions de dollars sont signalés chaque jour, mais la justice ne fait pas son travail.

La justice n’est pas à l’abri. Les tribunaux sont également réputés rendre des verdicts favorables aux plus offrants. Appelés à appliquer la loi, les juges et magistrats congolais sont parmi les fonctionnaires les plus corrompus du pays...\TAUX-DE-PENETRATION-DE-LA-CORRUPTION-DANS-LE-SECTEUR-PUBLIC-EN-REPUBLIQUE-DEMOCRATIQUE-DU-CONGO.pdf

 Ils abandonnent parfois les poursuites ou prononcent des peines plus légères suite aux pots-de-vin par les justiciables. Les juges et les magistrats sont conscients du niveau de la corruption, mais se contentent de déplorer des conséquences, alors que ce sont eux qui détiennent la clé des sanctions. Les autorités congolaises sont devenues incapables de sanctionner les antivaleurs car elles sont également trempées dedans.

La corruption judiciaire en RDC entre généralement dans deux catégories ; l’ingérence politique du pouvoir exécutif ou législatif dans les procédures judiciaires, d’une part, et la pratique des pots-de-vin, d’autre part.

L’ancien Ministre de la Justice et Garde des sceaux Alexis Thambwe Mwamba, avait reconnu dans son discours rester célèbre, en marge de l’ouverture de la session extraordinaire du Conseil Supérieur de la Magistrature « Qu’il existe désormais 2 décisions judiciaires au Congo, après avoir entendu toutes les parties en présence. L’une est en faveur de la partie demanderesse, et l’autre en faveur de la partie défenderesse ». Et la victoire judiciaire revient au plus offrant.

En République Démocratique du Congo, la corruption à caporaliser le service public et surtout la justice, au point de rendre monnayable toutes les prestations de la justice sur lesquels la population compte pour résoudre des litiges et demander réparations pour des griefs. Tout peut désormais s’acheter devant la justice : une décision judiciaire, un certificat d’enregistrement, un certificat de naissance, une attestation de bonne conduite vie et mœurs… ce qui créer une méfiance et limite l’accès de justiciable à la justice.

Les efforts de l’Inspection Générale des Finances affaibli par la justice congolaise.

 

L’inspection générale des finances est un organe de vérification et de contrôle de toutes les opérations financières de l’Etat, des entités administratives décentralisées, des établissements publics et organismes paraétatiques ainsi que des organismes ou entreprises de toutes nature bénéficiant du concours financier de l’Etat, des entités administratives décentralisées et des établissements publics ou organismes paraétatiques sous une forme de participation en capital, de subvention, de prêt, d’avance ou de garantie.

En tant que service d’audit supérieur du gouvernement, peut procéder à toute mission de contre-vérification, au second degré, de toutes les situations douanières, fiscales ou parafiscales des contribuables ou redevables d’impôts, droits, taxes ou redevances, soit en cas de découverte d’une fraude lors de l’exécution normale d’une mission de contrôle ou de vérification, soit sur réquisition des autorités politiques et administratives, soit sur réquisition des autorités judiciaires, soit, enfin, sur dénonciation des tiers.

Après sa mission de contrôle, l’IGF met au grand jour des révélations scandaleuses des détournements, de la corruption et de la malversation financières des grands projets et programmes du gouvernement notamment : (1) le détournement des fonds alloués à l’enseignement primaire, secondaire et technique, (2) plusieurs exonérations fiscales indues et illégales, (3) le parc agro industriel de Bukanga Lonzo qui a fait perdre à l’Etat congolais environs 181 millions d’euros, (4) l’existence de faux arrêtés antidatés de recrutement des agents et de création des écoles fictives,  etc.   

L’inspection générale des finances a menées les enquêtes sur plusieurs cas scandaleux de corruption et détournement, mais malheureusement la partie justice ne fait pas son travail convenablement.

Affaire Bukanga Lonzo

L’inspection générale des finances s’était penchée sur la vérification et le contrôle dans la réalisation de ce programme agricole phare qui a fait perdre 80 millions de dollars au trésor public. Un projet avait pour but de contribuer à l’autosuffisance alimentaire et de contribuer à la réduction de la pauvreté et à l’accroissement de la productivité agricole. La RDC importe chaque année pour environ 1,5 milliard de dollars de denrées alimentaires. RDC : Bukanga Lonzo, un fiasco à 80 millions de dollars – Jeune Afrique.

D’ailleurs, dans son rapport transmis à la justice sur la gestion du parc agro industriel de Bukanga Lonzo, l’IGF révélait que 285 millions de dollars, au total, ont été décaissés par le gouvernement. De cette somme, au moins 205 millions ont été perdus dans ce projet donc l’échec aurait, selon l’IGF été planifié dès sa conception.

L’IGF relève également, parmi les causes de la débâche, il a le choix des partenaires qui seraient, d’après leur analyse, non expérimentés. Au moment de la signature du contrat de gestion avec l’Etat congolais, la holding sud-africaine Africom, chargée de la gestion du projet, n’avait que trois ans d’existence. Bien plus, selon les enquêteurs, ce recrutement d’Africom s’est déroulé en violation de la procédure de passation des marchés publics. Il s’est opéré de gré à gré et sans l’autorisation de la direction générale de contrôle des marchés publics.

Echec, sabotage ou détournement ?

La justice traine encore des pieds pour étayer toute la véracité autour de la question.

Le détournement des fonds alloués à l’enseignement primaire, secondaire et technique

Au ministère de l’EPST, plusieurs millions de dollars américains ont été détournés, pourtant alloués à la gratuite de l’enseignement de base. Selon l’IGF, au ministère de l’EPST c’était créé une pratique de faux arrêtés de recrutement des agents et de création des écoles fictives ainsi que l’explosion du personnel non enseignant au détriment du personnel enseignant qui est pourtant le principal destinataire de gratuite de l’enseignement.

A l’ouverture de l’audience le 5 mars 2021 à la Cour d’appel de Kinshasa Gombe, seuls deux personnes sur 17 mise en cause et sur la liste de l’IFG sont devant la barre. Il s’agit de l’inspecteur de l’EPST et le directeur général du SECOPE (un service chargé de la paie des enseignants et autres agents de l’éducation), qui étaient reproché d’avoir violé des dispositions légales en matière de passation de marché public.

L’ancien ministre de la santé : Eteni Longondo accusé de détournement de plusieurs millions de dollars américains alloués par le gouvernement ç la gestion de la crise sanitaire Covid-19. Selon l’IGF seuls 2 des 8 millions de dollars américains alloués par le gouvernement à la gestion de la crise sanitaire ont pu être tracés. L’opacité entoure en effet les 3 millions de dollars envoyés aux provinces, ainsi que 3 des 5 millions gérés par le cabinet d’Eteni Longondo.

Au ministère de la santé toujours, dans les conclusions de son rapport sur la mission de contrôle effectuée dans 5 unités de gestion du ministère de la santé publique, hygiène et prévention, sur une période allant de 2016 à 2021 : Les conclusions font état des anomalies de gestion dans ces services. (Plus de 300 millions de dollars américains auraient été détournés).

Congo Hold-up constitue également un cas parmi des milliers de cas scandaleux. Selon l’enquête Congo Hold-up, 138 millions de dollars américains ont été détournés avec la complicité de la BGFI Bank RDC, filiale du groupe BGFI Bank basé au Gabon, dans laquelle des proches de Joseph Kabila avaient des intérêts et des responsabilités. Ces détournements ne sont malheureusement pas les premiers du genre en RDC.

Dans le secteur minier la situation est encore très préoccupante.

RDC : 750 millions de dollars de recettes minières détournés en trois ans, selon Global Witness. Un rapport de l’ONG Global Fitness baptisé « Distributeur Automatique du Régime » affirme qu’au moins 750 millions de dollars de recettes minières de la RDC auraient été détournés sur trois ans par les administrations fiscales et entreprises minières publiques du pays. En cause : « la conjugaison délétère de la corruption et d’une mauvaise gestion de la part des administrations fiscales et des entreprises minières publiques ». RDC : 750 millions de dollars de recettes minières détournés en trois ans, selon Global Witness – Jeune Afrique.

En dépit des plusieurs cas de détournement et de publications de rapports de l’inspection générale des finances, en dépit des pièces à convictions, témoignages et disponibilité des pièces comptables, en dépit du fait que le juges ont des bonnes raisons de croire que l’infraction aurait été commise, en dépit du travail fastidieux de l’IGF, peu de cas sont déférés devant la justice, (peu de cas aboutissent à une procédure pénale), moins de cas aboutissent à des condamnations.

Plusieurs cas finissent malheureusement par les acquittements. L’exemple de l’ancien Directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, condamné en avril 2020 à vingt (20) ans de prison, une peine entre-temps réduite à treize (13) ans pour détournement de 58 millions de dollars américains.  Acquitté plus tard. Condamné dans le même procès, l’homme d’affaires libanais Samir Jammal a aussi été acquitté par la Cour d’appel de Kinshasa Gombe. L'acquittement de Vital Kamerhe n'est pas le seul cas enregistré dans des affaires de détournement de deniers publics en RDC depuis l'arrivée au pouvoir du président Félix Tshisekedi. De nombreuses allégations de détournement de deniers publics portées jusqu'ici devant la justice en RDC se sont soldées majoritairement par l'acquittement des personnes mises en cause.

Conclusion

Les juges et magistrats congolais abandonnent parfois des poursuites ou prononcent les peines plus légères et fantaisistes pour des raisons suivantes : (1) pots-de-vin donner par les justiciables qui ont détournés les millions de dollars, (2) l’ingérence politique du pouvoir exécutif ou législatif dans les procédures judiciaires, (3) peu de connaissances techniques et outils liées à la complexité qui entourent la commission de cette infraction de corruption. Ils sont donc conscients du niveau de la corruption, mais se contentent de déplorer des conséquences, pourtant, la bonne marche des affaires de toute nation ou l’émergence d’un Etat de droit repose notamment sur l’efficacité de son système judiciaire.

 

Académie Congolaise de Gouvernance

RDC : Quand la corruption entre par la porte, la justice sort par la fenêtre.

Par : MUSA NZAMU Jonathan

  Mars 2023